Le cas du chef de la Maison des bois, qui a réclamé son retrait du guide Michelin après avoir perdu sa troisième étoile en janvier, montre les limites de la culture du tableau d’honneur gastronomique, dont les clients devraient eux aussi s'affranchir.
C’était un clochemerle, c’est devenu une guerre de tranchée dans le landerneau gastronomique : Marc Veyrat versus le guide Michelin, c’est duel au-dessus des fourneaux depuis que le chef de la Maison des bois à Manigod (Haute-Savoie) a perdu en janvier dernier la troisième étoile que la bible rouge lui avait accordée l’année précédente. Rétrogradé, Veyrat fait du Veyrat depuis six mois : coups de gueule, coups de blues à la mesure de ce chef hors norme aussi imprévisible que visionnaire quand, il y a plus de trente ans, il invita les herbes et les fleurs de ses montagnes dans l’assiette et propulsa la nature au firmament étoilé de la bectance. Le 10 juillet, l’inspecteur Harry de la haute cuisine a de nouveau défouraillé en demandant son retrait pur et simple du Michelin qui lui a opposé un refus par la voix de son directeur Gwendal Poullennec : «Les étoiles n’appartiennent pas aux chefs, il ne leur appartient pas de les rendre.» Certes, mais on est tenté aussi d’ajouter que les chefs n’appartiennent pas non plus aux guides, classements, listes, prescripteurs en tout genre qui font florès et qui font leur beurre sur la sueur des toqués, qui eux-mêmes, font fructifier leurs récompenses.
Le paradoxe est aussi amer qu’épicé : jamais dans l’histoire de la bouffe, ses artisans n’ont été aussi médiatisés, sacralisés, starisés. Cette culture du tableau d’honneur planétaire (le restaurant français Mirazur de Mauro Colagreco a été élu en juin meilleur restaurant du monde par le magazine britannique spécialisé, World’s 50 Best Restaurants) qui caracolait sur la scène du Michelin en 2018 avant de le dézinguer à coups de noms d’oiseaux en 2019.
Les consommateurs amnésiques
Cette polémique appelle un autre constat plus structurel : les cuisiniers consacrés sont condamnés à durer dans la régularité de l’excellence face à des consommateurs qui deviennent amnésiques quand leur rétrogradation prend le pas sur leur consécration. De Veyrat aujourd’hui, on ne voit que l’étoile perdue, alors qu’il a été aussi médaillé qu’un maréchal d’Empire. Il y a peu de métiers où la position est aussi infernale, où l’on devient à un tel point l’otage de sa propre renommée. D’un footballeur vieillissant, on se souviendra toujours qu’il a été champion du monde ; d’un écrivain en mal d’inspiration qu’il a été prix Goncourt. Mais en cuisine, la célébrité est un plat qui peut refroidir très vite quand un inspecteur, un critique gastronomique se mettent à tordre du nez devant une assiette. D’où la lassitude de certains chefs qui, un jour, décident de se détourner des podiums comme ce fut le cas d’Olivier Roellinger en 2008, de Sébastien Bras en 2017 et de Cyril Lignac dernièrement. Pourtant, tous qu’ils demeurent au zénith ou qu’ils connaissent des jours moins fastes ont apporté leur pierre à la créativité culinaire. Il serait peut-être temps de reconnaître leur apport d’une façon plus patrimoniale, plus diachronique, autrement que par le buzz d’un nouveau classement chassant l’autre.
Enfin, nous autres mangeurs somment aussi au centre d’un étrange paradoxe : l’avènement des réseaux sociaux nous autorise toutes les curiosités à table et ailleurs et pourtant le Dow Jones du succès gastronomique du moment nous ramène à la posture moutonnière du troupeau qui va à la mangeoire quand le chaland s’agglutine en queue interminable devant le dernier restaurant à la mode. Sortons des sentiers battus de la prescription à tous les étages de notre quotidien. On crève à se sentir obligés de suivre les diktats et les palmarès de ces guides pas professionnels pour un sou.
Pourtant, on n’est pas obligés de consulter les oracles pour bien manger. Oublions les GPS gastronomiques, empruntons les chemins buissonniers de la bectance avec toute notre subjectivité. Car se régaler, c’est une histoire d’humeur, d’affinités, de couleur du ciel, d’envie de l’instant. Le bonheur quand on débarque dans l’inconnu, c’est de dévorer des yeux les menus accrochés dans les rues ; de humer un parfum de pizza chaude ; de mater un banc de fruits de mer ; de s’installer à une terrasse pour rêvasser devant un verre de chardonnay. Et puis au risque de radoter, le meilleur restaurant, c’est celui que vous préférez. Peu importe qu’il soit étoilé ou pas, qu’il plastronne ou pas sur les sites de notations.
Egger Ph.
Réponse de Marc Veyrat au message de soutien que je lui ai envoyé:
Je vous remercie pour votre message qui me touche tant, ainsi que mon équipe.
J’étais cuisinier, je suis cuisinier, cuisinier paysan je resterai.
Nous continuerons chaque jour à travailler, à créer, à innover pour que nos convives gardent les étoiles dans leurs yeux, c’est notre plus belle récompense et notre raison d’être.
J'ai eu beaucoup de chagrin pour l'ensemble de mes collaborateurs et pour le lieu de ma naissance.
Ma fidèle équipe et moi-même se feront un plaisir de vous accueillir à la Maison des Bois et nous ferons tout pour que votre expérience reste unique et inoubliable.
Veuillez recevoir, Cher Monsieur EGGER, nos respectueuses salutations.
A très vite,
Marc Veyrat
Si vous aussi, pensez que Marc Veyrat a raison de se battre et de vouloir son retrait du guide Michelin; envoyez lui un message de soutien à lui, sa famille et toutes ses équipes qui font un travaille formidable tous les jours pour satisfaire chaque convive
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